Posons le décor :

Reçu par la conférence des évêques et le nonce apostolique au collège des Bernardins, le président Macron avait déclaré le 9 avril 2018 :

« ...nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer. »

Le même Macron aux Mureaux en octobre 2020 : « Le problème, c’est le séparatisme islamiste. » Depuis, il s'est magistralement illustré au point d'inquiéter ses meilleurs soutiens.

L'historien Hervé Yannou, le 23 septembre 2023 : « Si le président de la République assiste à la messe au Vélodrome, cela aura une signification particulière, car ce n’est pas une obligation protocolaire. Cela marquerait un choix politique, une volonté d’accorder une importance spéciale à la communauté catholique ».

Je pensais m'arrêter là. Mais un article d'un journal dont vous connaissez l'attachement à la laïcité, Le Figaro, m'a intrigué. Le titre : 78 % des musulmans considèrent que la laïcité française est islamophobe. Il s'agit en fait d'une enquête périodique de l'IFOP : Enquête auprès des Français musulmans sur les questions de religion et de laïcité. Deux résultats :

-             question :Au regard de ce que vous en savez, diriez-vous qu’en France, la laïcité telle qu'elle est appliquée aujourd'hui par les pouvoirs publics est discriminatoire envers les musulmans ? Réponse très ou assez, total 78 %

-             question : Pour vous le principe de la laïcité, c’est avant tout… ?

Réponses « séparer les religions et les institutions de la République », mêmes pourcentages que l'ensemble des français, sauf « mettre toutes les religions sur un pied d'égalité » 28 % contre 19 %.

Nous voudrions vous faire partager nos inquiétudes : la volonté de soumettre les cultes aux plans du politique ; la stigmatisation de l'Islam, considéré comme incompatible avec la République laïque ; les atteintes à la liberté d'expression...

La loi de 1905 instaure la liberté de conscience et l'indifférence réciproque de l’État et des institutions publiques (la sphère publique) et des religions (sphère privée). Le terme de laïcité ne s'y trouve pas. Selon l’expression excellente de Francis de Pressensé, alors Président de la Ligue des Droits de l’Homme en 1905, « la liberté de conscience (la laïcité), c’est quand l’État s’arrête devant la conscience. »

Je parle de sphère publique, pas d'espace public. L'espace public est le lieu ouvert à tous, où chacun jouit de sa liberté. Comme dit la déclaration des droits de l'homme de 1789, « l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. »

Trois questions qui méritent de faire le point et, hélas, d'évoquer des évolutions bien peu laïques. Le régime juridique des cultes ; la laïcité institutionnelle ; la liberté de conscience.

Ø   Les religions s'organisent librement dans les associations de la loi de 1901 : associations cultuelles (fiscalité intéressante) ou autres... Les cultuelles sont soumises à une simple déclaration. L’État n'a rien à dire sur le dogme, la justice n'a pas le droit et le pouvoir d'attribuer la qualification de religion à un mouvement ou une association. L’État n'exerce qu'une police des cultes au regard de l'ordre public. En particulier, organiser des réunions à caractère politique ou des vœux de la municipalité contrevient au 4° de l'article 13 de la loi du 9 décembre 1905.

La République a été généreuse avec l’Église catholique : patrimoine affecté entretenu et conservé par les collectivités publiques. Rome ayant refusé le statut des cultuelles, les associations diocésaines ont été acceptées comme telles. Drôle d'associations, sans démocratie, dont le chef est nommé par une puissance étrangère... et qui n'ont pas pour objet l'organisation du culte.

Pétain, généreusement, a autorisé les financements publics des réparations des édifices cultuels, qui ne seront pas considérés comme subventions ; il a permis aux cultuelles de recevoir dons et legs. Dispositions maintenues à la Libération.

La loi du 21 août 2021 (loi séparatisme) rompt avec la liberté de culte. En particulier, le culte musulman est suspect. Il faut donner aux préfets des moyens de surveillance : ressources financières, validation sous deux mois du caractère de cultuelle, renouvelé tous les cinq ans. Les associations 1901 ayant une activité cultuelle (très souvent l'Islam) ont les contraintes des cultuelles sans leurs avantages. Au passage, l’Église catholique y gagne le droit pour les cultuelles de disposer jusqu'à 50 % de patrimoine immobilier non nécessaire à l'accomplissement du culte.

Ø   La laïcité institutionnelle, c'est la neutralité des institutions publiques, de leurs responsables, de leurs agents. Elle garantit l'égalité de traitement des citoyens. Interdiction pour un agent de manifester, dans l'exercice de ses fonctions, son appartenance à une religion. Même chose pour les organismes chargés d'une mission de service public (Sécurité Sociale).

Le Conseil d’État a jugé qu'une crèche dans laquelle figurent les personnages du Nouveau Testament (Marie, Joseph et Jésus) est illégale dans un bâtiment de la République. La Libre Pensée a gagné les contentieux en la matière.

Dans l'espace public, liberté. La seule règle : l'article 28 de la loi de 1905 interdit « à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. » Là encore, la Libre Pensée a gagné ; nous ne sommes pas des iconoclastes, nous respectons et défendons le patrimoine. Notons qu'en la matière, ce sont des courants politiques qui mobilisent la religion pour leurs propres objectifs.

Et, bien évidemment, interdiction des financements publics pour des activités cultuelles. Pas toujours respecté ici.

Ø   Les citoyens n'ont pas à « respecter la laïcité » ! Il y a en la matière une dérive, et pas seulement du langage. L'article 3 du règlement de la MDA de Vannes dispose : « Les principes du service public doivent être respectés par tous les utilisateurs de la Maison des Associations, notamment le prolongement du principe d’égalité et de neutralité ce qui implique l’interdiction d’y exercer des activités de nature religieuse ou syndicale ou politique en son sein. »

Or, cette règle impose à des personnes morales de droit privé des obligations propres au service public, en particulier la neutralité.

La loi « Séparatisme » du 24 août 2021 constitue la remise en cause brutale de la liberté de conscience et d'opinion, au profit notamment d'une idéologie d’État et d'une menace pour toute contestation d'un choix politique. C'est la police de la pensée.

Le décret d'application, avec la création du « contrat d'engagement républicain », va plus loin que la loi. L’État ou les collectivités peuvent vérifier le fonctionnement d'une association pour lui accorder un agrément ou une subvention. Il impose également que « L’association s’engage à respecter le drapeau tricolore, l’hymne national, et la devise de la République. » Pour les associations de personnes étrangères, de solidarité internationale ? Et le flou des dispositions parlant de « fraternité et de civisme, de dignité de la personne humaine » ? Au surplus, l'administration prend la place de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle selon la Constitution. Le pouvoir de dissolution des associations par l’exécutif est nettement élargi et s’exerce à raison notamment des propos tenus par de simples adhérents ou des salariés.

Le Sénat s’apprête à examiner la proposition de loi n°21 d’un groupe de sénateurs visant à réprimer pénalement « l’antisionisme ».

Une proposition de loi est portée par deux associations et un groupe trans-partisan de députés (hors RN et LR) sur «la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité» ; « il y a encore trop de climato-scepticisme dans les médias »

Si le Conseil d’État a annulé la dissolution des Soulèvements de la Terre, il a cependant élargi les motifs de dissolution d'une association. Il avait déjà avalisé le décret d'application de la loi séparatisme.

Saluons la décision du TA de Poitiers qui a désavoué le préfet dans l'affaire des subventions à Alernatiba. Organiser un atelier de désobéissance civile n’est pas une raison suffisante pour refuser des subventions à une association.

« Être laïc, c'est refuser aux religions qui passent, le droit de gouverner l'humanité qui dure », disait l'historien Ernest Lavisse en 1902.