Reproduction de l'interview de
l'évêque Gourvès, dans Armor-Magazine de décembre 2003, avec fac-similé
de l'article.
Un évêque s’engage pour notre culture
Mgr François-Mathurin Gourvès, Breton de l’année
Pour des raisons que nous avons déjà
expliquées, nous avons décidé il y a deux ans de suspendre l’élection du
Breton de l’année. Réuni il y a quelques mois, le comité éditorial
d’armor magazine a souhaité que, malgré tout, un coup de chapeau soit
donné à une personnalité pour ses actions en faveur de la Bretagne.
Celte désignation prend un autre aspect : elle émane directement du
Comité éditorial et ne fait l’objet d’aucune présentation officielle.
C’est dans ce contexte que, pour 2003, Mgr Gourvès, évêque de Vannes, a
été choisi par la majorité des membres du jury qui ont été séduits par
la lettre pastorale qu’il a consacrée dernièrement au “renouveau de la
culture bretonne : un défi pour l’Église“. Breton de souche et d’esprit,
le prélat espère bien que la langue et la culture bretonnes conserveront
leur place dans le contexte de la mondialisation en cours.
La respiration de l’homme
a.m. — Avez-vous toujours été
sensible à la culture bretonne ou l’avez-vous découverte en chemin ?
Mgr Gourvès — Jusqu’à l’âge de
sept ans, je n’ai parlé que breton. Et, adulte j’ai toujours été
sensible à la culture bretonne car, pour moi, la culture, c’est la
respiration de l’homme ; c’est tout ce qui fait l’homme et le met à
l’aise : cela veut dire la langue, le chant, les paysages... Quand je
quitte la Bretagne et que j’y reviens, je suis happé par le vent, par la
musique.
a.m. — Longtemps, la Bretagne,
sa culture, sa spiritualité ont été en phase avec l’Église. Puis, un
fossé s’est creusé. Comment expliquer cette évolution ?
Mgr Gourvès — Je l’explique dans
ma lettre pastorale : autour des années 50, il y a eu une rupture. On a
tellement fait honte aux Bretons de parler leur langue que,
progressivement, c’est devenu un handicap, non seulement linguistique,
mais également social. Du coup, on a arrêté de transmettre la langue. Il
faut quand même dire que pendant deux siècles, c’est l’Église qui a
sauvé le breton alors que l’école, catholique ou publique,
l’abandonnait. Mais, à un moment, les prêtres prêchant en breton,
n’étaient plus compris des nouvelles générations. Étant au service d’un
peuple, ils ont, c’est vrai, accompagné ce mouvement de recul. Dans le
même temps, beaucoup de prêtres ont été à l’origine de bagadoù, comme
celui de Locoal-Mendon. Après la guerre, il y eut urgence sur les plans
socio-économique, politique et l’Église a orienté ses efforts dans ce
sens, avec la création des mouvements d’action catholiques, par exemple.
a.m. — Puisque l’on parle de
l’après-guerre, selon vous, les accusations portées contre certains
Bretons en matière de collaboration ont-elles joué un rôle ?
Mgr Gourvès — Les événements
douloureux de la guerre ont eu un effet certain, notamment
ce qui a été dit, de manière
injuste, contre l’abbé Yann-Vari Perrot. Il en a découlé un
sentiment de honte et d’humiliation. L’image de l’Église s’en est
trouvée compromise et, du coup, l’Église a observé une grande prudence.
Un déclic: la visite du pape
a.m. — L’Église a accompagné le
déclin de la langue. Aujourd’hui elle accompagne son renouveau.
Mgr Gourvès — On peut dire cela.
Il faut préciser que, depuis longtemps, il y a dans les diocèses une
commission bretonne chargée de réfléchir et de faire des propositions. A
Tréflévenez, il y a une sorte de laboratoire où l’on mijote un peu tout
cela. Dans le diocèse de Vannes,
une commission chemine avec le père Le Dorze, recteur de
Ste-Anne, avec le père Blanchard,
avec Mériadeg Henrio,
avec le curé de Guémené s/Scorff et des laïcs. Il y a eu un déclic :
c’est la visite du Pape en Bretagne. J’avais souhaité que la culture
soit présente, notamment au travers de danses et de bagadoù.
Malheureusement, plusieurs ont refusé car ils estimaient que le Pape
n’était pas un pape moderne. Ils n’ont pas saisi cette occasion qui leur
était offerte de donner une dimension plus forte à la culture bretonne.
Nous avons quand même obtenu que quelques danses soient faites sur le
podium. Vous savez, le Pape est très sensible aux minorités et, lorsque
je lui en ai demandé la raison, il m’a répondu “nous allons vers la
mondialisation qui va broyer tout le monde et les gens auront besoin de
vraies racines. Chez vous en Bretagne, comme chez nous en Pologne, il y
a de vraies racines”. Pour lui, la foi se vit aussi dans la culture.
a.m. — Venons-en à la lettre
pastorale que vous avez publiée et où vous exhortez l’Église et l’école
catholique à promouvoir la culture bretonne. Pourquoi la sortir
maintenant ?
Mgr Gourvès — Je la sors
maintenant car il fallait du recul pour qu’une parole d’Église soit
reçue. La faire plus tôt aurait été prématuré. Je pense aussi que le
passage du pape en Bretagne a déblayé le terrain. Depuis quelque temps,
sur place, je me rends compte que de plus en plus d’enfants apprennent
le breton. Il est nécessaire que l’Église accompagne ce phénomène.
D’autre part, j’avais envie de rejoindre les gens dans leurs
préoccupations. Je l’ai fait pour la culture mais également lors d’une
autre lettre adressée aux agriculteurs. Nous nous devons d’être à
l’écoute.
Il y avait une attente
a.m. — Le succès de cette
lettre vous a-t-iI surpris ?
Mgr Gourvès — J’ai été surtout
surpris de l’ampleur de la réaction. Mais il y avait certainement une
attente des Bretons d’une parole d’Église car, peut- être, avaient-ils
l’impression que l’Église les avait abandonnés. On sent cette attente :
prenez le Tro Breizh où de nombreux pèlerins ne sont pas au coeur de la
foi ; ils y participent parce qu’ils sentent que l’Église est porteuse
de quelque chose de fort.
a.m. — Comment ces idées que
vous lancez vont- elles trouver leur application dans la vie pastorale ?
Mgr Gourvès — Je vais vous donner
quelques exemples : nous sommes allés à Lourdes et nous avons emporté la
traduction en breton unifié du missel du dimanche. C’est la première
fois que cela se fait. Quand Rome aura donné son imprimatur, nous
voudrions qu’il devienne un instrument pour des célébrations avec
lecture de la Bible et des prières en breton. Dans le diocèse de Vannes,
je suis en train de nommer à Ste-Anne d’Auray, un permanent laïc
bretonnant qui va être la référence bretonne pour le diocèse. Par
ailleurs, la direction de l’enseignement catholique vient de confier un
mi-temps diocésain à un professeur qui sera chargé de coordonner tout ce
qui se fait en Bretagne dans les écoles catholiques. Enfin, Ste-Anne
d’Auray va devenir un lieu de référence où se retrouveront les acteurs
de la communauté religieuse bretonnante.
Une langue extraordinaire
a.m. — Cela vous rend optimiste
pour la langue bretonne ?
Mgr Gourvès — Je crois beaucoup la
langue. Je pense que, demain, tout le monde parlera plusieurs langues :
les enfants apprendront l’anglais, le français mais aussi le breton pour
ceux qui le veulent car c’est une langue extraordinaire avec son propre
génie. Je suis donc optimiste quant à la capacité des gens à apprendre
mais c’est vrai qu’après, quand on parle de Diwan ou d’enseignement
bilingue, cela devient une affaire politique.
Propos recueillis par
ANNE-EDITH POILVET et JEAN-MARC SOCHARD
Carte d’identité
François-Mathurin Gourvès Second d’une
famille de quatre enfants Né le 17 juin 1929 à Plougastel-Daoulas d’un
père agriculteur Grand-père maire de Plougastel ; Études primaires à
Plougastel ; Petit Séminaire à Pont-Croix ; Grand Séminaire à Quimper ;
Études à Rome ; Vicaire à Landerneau pendant trois ans ; Aumônier de la
JOC et de la JOCF à Brest pendant dix ans ; Études sociales à Paris ;
Curé-doyen de Brest Recouvrance ; vicaire général à Brest pendant
quatorze ans ; en 1989, devient secrétaire de la commission sociale des
évêques.; un an après, est nommé évêque co-adjuteur de Vannes et depuis
le 17 juin 1991 est évêque de Vannes.
armor magazine décembre 2003
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